La flamme des warbirds habite Gilles Kupfer depuis longtemps. Depuis vingt ans, il passe tout son temps libre sur le terrain de Bex. C'est là qu'il rencontre un jour Mark Hanna. Sa décision ne tarde pas, il quitte la Suisse pour aller travailler chez lui et s'intègre dans son équipe. Il se rappelle aujourd'hui d'amis d'une exceptionnelle compétence et intimement modestes. Une année passe avant sa demande de piloter. Depuis son arrivée, il a volé moins d'un quart d'heure. "Je peux faire ma vie ici sans problème si tu m'offres un siège, même celui d'un avion sans prétention". En réponse, une promesse de vol en passager, l'année suivante, sur Mustang ou Corsair... Retour en Suisse. "Sans un rond, j'ai rencontré par hasard un copain d'enfance. On a repris une construction de Focke-Wulf de War à l'échelle 1/2, que j'ai finalement continué et fini tout seul".
Gilles entend alors parler d'un rassemblement Jurca en Belgique. "Ma profonde amitié avec Marcel Jurca est née dès notre première rencontre. En voilà un qui parle le même langage que moi, me suis-je dit. J'ai promis de venir le voir dès que j'irais à Paris. Je n'ai pas attendu deux jours avant d'appeler: "Quand puis-je venir?". C'était il y a trois ans. Je n'avais pas d'argent pour aller à Paris, encore moins pour la liasse de plans, mais j'étais parti pour construire un Focke-Wulf à l'échelle un, avec un moteur de 1200 ch. J'ai vendu mon delta à contre-coeur pour acheter la liasse de plans. Visite chez Marcel. "Bonne chance et vas-y mon poulet". Trois semaines plus tard, mon sponsor Nestlé m'a transmis une réponse négative. J'avais des privés qui investissaient pour la construction de l'avion, mais aucune garantie qu'ils sponsoriseraient les heures de vol. Une telle machine revient à 1500 francs suisses (près de 1000 €) par heure de vol, avec la maintenance. Je rappelle Marcel pour me rabattre sur la réplique 3/4, car je pouvais trouver un moteur Sukhoi. Elle coûtera beaucoup moins cher, tout en conservant le même rapport poids/puissance. La vitesse de pointe sera de 500 km/h plutôt que 700, mais la montée devrait atteindre 1000 m/min...et l'avion sera plus facile à entrer dans un hangar".
La liasse de plans est échangée à Épinal en 1999... J'ai une envie furieuse de commencer. Recherche d'un hangar pour débuter la construction et d'un appartement où habiter. Un propriétaire avec une bonne âme m'a laissé gratuitement une cour entre deux maisons. J'ai entrepris de la couvrir après avoir reçu l'accord des voisins. Récupérer des palettes de 5 m et monter les couples n'a pas coûté grand chose. La place était au sec pour attaquer la bête. La construction avance vite. Il faut bientôt un vrai hangar. J'ai ripoliné la vallée sans rien trouver durant de longs mois. Un dimanche, j'ai été attiré ici par des gamins qui jouaient avec le palan. Rencontre deux jours plus tard avec le propriétaire, qui venait d'acheter ce hangar à une entreprise en faillite. "Beaucoup de monde est intéressé", m'a-t-il dit. Il en voulait dix fois trop cher pour moi. Je ne l'ai pas lâché pendant deux heures et demi. Il a marché dans mon histoire. J'ai négocié le prix pour celui d'un studio. Je pouvais dormir dedans. Deux jours plus tard, je démontais mon hangar et emménageais ici.
Je dois préciser qu'avant cet avion, je n'avais jamais rien construit en bois, ni touché un tour ou une fraise de ma vie. J'ai appris sur le tas pour faire mes pièces. J'y ai passé beaucoup de temps. Mes 9000 heures ne correspondent à rien pour un professionnel. Je suis un amateur. Notre amitié avec Marcel s'est renforcée avec le travail sur cette machine, en la mettant au point et en la modifiant. J'aime que rien ne dépasse sous les ailes, alors on a changé pas mal de choses. "Dépêche-toi, je ne serai pas là éternellement", me disait-il... Il a pris beaucoup de temps pour cet avion, à côté de son Mustang à l'échelle un qu'il était en train de finir. J'ai eu besoin, pour l'Aviation civile, du dossier de calculs du train d'atterissage. Marcel a bouleversé le planning de l'Estaca et j'ai eu le dossier en moins de trois mois. Ça grinçait parfois avec lui. Avec un peu de jugeote, on se comprenait. Il avait la rage de vivre. "Fais-moi un bel oiseau MJ-8, mon petit poulet!" et il a raccroché... Quelque part par là au-dessus, il nous regarde.
J'ai rencontré une personne d'un dévouement total à tous ses avions. Marcel a voulu y arriver et il a tout fait pour cela. Ses machines sont extraordinaires. En les construisant, sa réflexion se dévoile, on découvre ses astuces et sa logique. Il est dommage que peu de Français attaquent ses répliques."
Gabriel GAVARD